Militante afro-américaine, Ella Baker (1903 – 1986) lutte pour les droits civiques et les droits humains pendant plus de cinq décennies. Partisane des actions collectives et de l’implication des concernés dans la lutte, elle est l’une des femmes les plus importantes du mouvement pour les droits civiques.
Descendante d’esclaves

Fille de Georgiana et Blake Baker, Ella Josephine Baker nait le 13 décembre 1903 à Norfolk en Virginie, sur la côte est des États-Unis. Son père, travaillant sur une ligne de bateaux à vapeur, est souvent absent et c’est sa mère qui l’élève, avec son frère aîné Blake Curtis et sa jeune sœur Maggie. Dans un pays en pleine période de ségrégation raciale, les trois enfants grandissent auprès de leur mère et de leur grand-mère maternelle, Josephine Elizabeth Ross, surnommée Bet, qui témoigne auprès d’eux de sa vie en tant qu’esclave, fille du maître de la plantation et exploitée dans les champs. Nés dans l’esclavage, les quatre grands-parents d’Ella l’ont en effet subi jusqu’à son abolition en 1865, à peine 38 ans avant la naissance de la fillette.
À la suite de la guerre de Sécession et la Reconstruction s’ouvre aux États-Unis la période de la ségrégation raciale, avec des lois visant à entraver l’accès aux droits civiques des Afro-américains et à ségréguer au maximum les lieux et espaces publics, transports en commun, écoles, restaurants, hôpitaux, églises, salles de spectacles et autres. Ella et ses adelphes grandissent dans cette Amérique divisée, en proie aux violences et aux discriminations. En 1910, lors d’une émeute, des Blancs attaquent ainsi les ouvriers noirs du chantier naval à Norfolk. Suite à cet épisode, Georgiana Baker décide d’emmener ses enfants dans sa ville natale, près de Littleton en Caroline du Nord.
Ella fréquente des écoles ségréguées, notamment l’université Shaw à Raleigh. Non contente de briller dans ses études, elle révèle déjà un caractère affirmé et une soif de justice et d’égalité. Elle n’hésite ainsi pas à se dresser contre les règlements de l’école qui lui semblent injustes, notamment son code vestimentaire conservateur ou le racisme de son président. Après avoir obtenu haut la main son diplôme en 1927, elle part s’installer à New York.
Les débuts d’un engagement militant
À New York, Ella Baker poursuit cet engagement militant et politique qui traversera sa vie entière. Elle travaille d’abord comme assistante de rédaction pour le Negro National News. En 1931, elle rejoint la Young Negroes Cooperative Leave fondée par son ami George Schuyler et visant à développer des réseaux de coopération pour soutenir le développement économique des Afro-américains ; elle en prendra la direction par la suite.
Dans le cadre du Worker’s Education Project de la Works Progress Administration, agence fédérale créée lors du New Deal, Ella donne des cours notamment sur l’histoire du travail et l’histoire de l’Afrique. À New York, elle s’imprègne de l’effervescence intellectuelle, artistique, politique et militante de la Renaissance de Harlem. Au contact de militants qui pour beaucoup deviendront ses amis, elle structure sa pensée politique. Pour elle, la lutte doit émaner des victimes d’oppressions, être populaire, collective, locale et généralisée à la fois.
À cette époque, Ella épouse T. J. Roberts, rencontré à l’université. Elle veille à séparer sa vie privée et son action militante, pour être bien considérée comme un individu à part entière au sein du mouvement des droits civiques ; elle ne prendra d’ailleurs pas le nom de son mari. Les deux divorceront en 1958.
Avec la NAACP
En 1938, Ella rejoint la National Association for the Advancement of Colored People (NAACP), l’une des organisations de défense des droits civiques des Afro-américains les plus influentes aux États-Unis. En 1940, elle devient secrétaire de l’association et voyage à travers le pays pour recruter de nouveaux membres, lever des fonds et installer des antennes locales. Elle rencontre ainsi des milliers de personnes, à qui elle sait parler avec sincérité et respect, et forme un large réseau de militants, en particulier dans les États du Sud. Son efficacité lui vaut de prendre la direction de branches de la NAACP en 1943, devenant ce faisant la femme la plus haut placée au sein de l’organisation.
Ce ne sont pourtant pas les honneurs qui intéressent Ella. Toujours convaincue que la lutte doit venir d’en bas et que ce sont les activistes de l’ombre qui font la force d’une organisation, plus que des leaders charismatiques, elle pousse la direction de la NAACP à décentraliser sa hiérarchie, à se faire plus démocratique et à laisser plus de places aux militants. Elle insiste, en particulier, sur la place importante des jeunes et des femmes au sein de l’organisation. Ces dernières, pour n’être peu ou pas représentées au sein des instances de direction, sont souvent en première ligne lorsqu’il s’agit d’organiser des actions locales. Plus tard, elle témoignera : « You didn’t see me on television, you didn’t see news stories about me. The kind of role that I tried to play was to pick up pieces or put together pieces out of which I hoped organization might come. My theory is, strong people don’t need strong leaders » (On ne me voyait pas à la télé, on n’entendait pas d’histoires sur moi. Le rôle que j’essayais de jouer était d’assembler des pièces pour qu’il en sorte de l’organisation. Ma théorie, c’est que les personnes fortes n’ont pas besoin de leaders forts).
En 1946, Ella se détache quelques temps de ses responsabilités au sein de la NAACP, pour accueillir sa nièce Jackie dont la mère ne peut s’occuper ; elle demeure bénévole au sein de l’organisation. Le naturel revient cependant au galop : rejoignant la branche new-yorkaise de la NAACP, Ella milite pour la déségrégation des écoles locales et lutte contre les violences policières ; en 1952, elle devient présidente de la branche. Parallèlement aux actions menées, elle s’emploie à assouplir la hiérarchie de l’organisation et à restituer plus de pouvoir d’action aux leaders locaux et aux militants sur le terrain.
La Southern Christian Leadership Conference
En 1957, après la campagne de boycott des bus de Montgomery, Ella Baker se rend à Atlanta pour aborder avec des leaders du mouvement pour les droits civiques, parmi lesquels Martin Luther King Jr., la question de la création d’une organisation locale pour poursuivre sur cette lancée. De cet élan nait, en février, la Southern Christian Leadership Conference, la Conférence du leadership chrétien du sud, regroupant des pasteurs et responsables religieux autour du principe fondateur de la lutte pour les droits civiques par le biais d’actions non-violentes.
Ella s’implique dans les premiers événements et les premières actions de la toute nouvelle organisation, faisant la preuve non seulement de ses compétences d’organisation mais également de sa capacité à fédérer les militants et à gagner leur respect. Entre 1958 et 1960, elle occupe le rôle de directrice exécutive de la SCLC par intérim, en attendant que le révérend Wyatt Tee Walker prenne la fonction.
Son travail au sein de la SCLC s’avèrera être avant tout une source de frustration pour Ella. Privée d’alliés au sein d’une organisation qui laisse peu de place aux femmes, elle reproche à Martin Luther King une certaine distance avec le terrain et avec le peuple ; elle n’y trouve pas la démocratie et l’action collective et participative qui lui tiennent tant à cœur. De son expérience avec la SCLC, elle dira : « Il n’y aurait jamais eu de place pour moi dans les organes de décision de SCLC. Pourquoi ? Premièrement, je suis une femme. De plus, je ne suis pas pasteur ».
Le mouvement des étudiants
En désaccord avec le modèle d’organisation de la lutte autour de figures charismatiques et avec peu de pouvoir aux mains des militants sur le terrain, Ella Baker voit dans les étudiants organisateurs des sit-ins de Greensboro, destinés à déségréguer les restaurants de la ville, une opportunité de remettre en question ce modèle. Les leaders de cette association sont en effet jeunes, dynamiques, peu connus. Elle convainc Martin Luther King de financer une conférence pour les réunir. Alors que ce dernier voudrait qu’ils fondent une aile étudiante de la SCLC, Ella les incite au contraire à prendre les choses en main eux-mêmes, à fonder leur propre association et à mettre en place une démocratie participative en se gardant bien d’un militantisme trop centré sur des leaders. Ainsi nait le Student Nonviolent Coordinating Committee.
Le SNCC devient une organisation importante dans les États du Sud, et Ella s’éloigne de la SCLC pour devenir une de leurs principales conseillères ; elle sera notamment connue sous le surnom de « marraine du SNCC ». Sous le mentorat d’Ella et d’autres, le SNCC, organisation étudiante, s’étend aux métayers et aux fermiers noirs qui travaillent dans des conditions parfois proches de l’esclavage. Pour Ella, tout le monde doit être impliqué dans la lutte, et surtout celles et ceux qui sont le plus durement touchés par l’exploitation : d’après elle, les plus opprimés « doivent être eux qui décident des actions qu’ils mènent pour se libérer de leur oppression ».
Au sein du SNCC, Ella rencontre et inspire de nombreux jeunes amenés à devenir d’importants leaders du mouvement des droits civiques par la suite, tels que Diane Nash, Bernice Johnson Reagon ou encore Stokely Carmichael. Son plaidoyer pour des mouvements organisés en démocratie participative s’étend, dans les années 1960 et 1970, à d’autres organisations et groupes d’action. Au milieu des années 1960, des membres du SNCC, face à la violence que rencontrent parfois ses actions pacifiques et aux violences policières en général, se tournent vers l’auto-défense armée et vers des stratégies plus radicales. Ella, qui se dit elle-même incapable de tendre l’autre joue, estime que le mouvement Black Power qu’adopte le SNCC est une réaction aux principes et aux modes d’action des grandes organisations de défense des droits civiques pacifistes, qu’elle juge obsolètes.
De multiples engagements
De 1962 à 1967, Ella Baker travaille pour le Southern Conference Educational Fund, une organisation qui promeut la justice sociale, la déségrégation et les droits civiques pour les Afro-américains, notamment à travers un travail collaboratif entre militants blancs et noirs. L’organisation s’emploie à sensibiliser les Blancs des États du Sud au sujet du racisme. Au sein du SCEF, Ella travaille en particulier avec Anne Braden, une militante blanche accusée d’être communiste. Elle-même socialiste, elle se méfie du communisme mais se défie plus encore des accusations de communisme, utilisées pour diviser ou discréditer des opposants politiques.
Ella soutiendra ainsi également la militante Angela Davis, surveillée du fait de son appartenance au parti communiste américain, accusée d’avoir participé à une prise d’otages et incarcérée ; en 1972, elle part en tournée dans tout le pays en soutien à la campagne « Free Angela » (libérez Angela). La militante sera finalement acquittée.
Au-delà des États-Unis, Ella s’intéresse aux questions d’égalité et au décolonialisme à l’échelle de la planète. Dès les années 1930, elle s’était ainsi opposée à l’invasion italienne de l’Ethiopie. Elle soutient également le mouvement pour l’indépendance de Porto Rico, et s’engage contre l’apartheid en Afrique du Sud. Elle est active au sein de plusieurs associations de femmes de défense de l’égalité, de la paix et de la justice. La Third World Women’s Alliance, notamment, défend les femmes racisées avec une approche intersectionnelle : contre le racisme, le sexisme et le classisme.
Ella Baker meurt à l’âge de 83 ans, en 1986, après plus de cinquante ans de militantisme. Elle reste une figure majeure du mouvement pour les droits civiques aux États-Unis.
Liens utiles
Page wikipedia d’Ella Baker (anglais)
Who was Ella Baker ?
Ella Baker (anglais)
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