Josette Audin, militante de la vérité

Militante anti-colonialiste, Josette Audin (1931 – 2019) consacre sa vie à une quête de vérité et de justice concernant la disparition de son mari Maurice Audin, enlevé pendant la guerre d’Algérie.

Une élève brillante

Française d’Algérie, Josette Sempé nait le 15 février 1931 à Bab-el-Oued à Alger. Le pays est alors sous domination française après sa colonisation particulièrement violente au 19e siècle, mais des mouvements nationalistes émergent pour réclamer son indépendance.

Josette grandit dans une famille modeste, dormant dans la même chambre que sa grand-mère et ses deux petites sœurs. Sa mère meurt tragiquement jeune, lorsque Josette n’a que trois ans. En grandissant, l’enfant se révèle douée pour les études et bénéficie du soutien d’une institutrice qui lui donne des cours du soir, lui prête des livres et convainc sa famille de l’inscrire au lycée.

Militants anticolonialistes

C’est à la faculté de mathématiques d’Alger que Josette rencontre son futur mari Maurice Audin en 1952. Tous deux âgés d’une vingtaine d’année, ils partagent un intérêt pour les mathématiques, un amour de l’Algérie, un refus du colonialisme et un soutien au droit à l’autodétermination des peuples. Membres du Parti communiste algérien (PCA), ils font partie d’une minorité française à militer contre la colonisation et pour l’indépendance de l’Algérie.

Etudiant et militant ensemble, il ne faut pas longtemps à Josette et Maurice pour se marier et fonder une famille. Leurs trois enfants naissent dans les années qui suivent : Michèle en 1954, Louis en 1955 et Pierre en 1957. Josette enseigne les mathématiques, Maurice travaille à l’université d’Alger et prépare une thèse.

La guerre d’Algérie

Lorsque la guerre d’Algérie éclate en novembre 1954, quelques mois à peine après la naissance de leur fille aînée, Josette et Maurice Audin restent fidèles à leurs engagements au sein du PCA qui prône l’indépendance. Interdit en septembre 1955, le parti passe dans la clandestinité.

Avec l’aide de membres de sa famille, Maurice héberge ou exfiltre des clandestins du PCA. En 1957, il héberge notamment le leader communiste Paul Caballéro qui reçoit des soins de la part du médecin Georges Hadjadj, également communiste.

Le 9 juin 1957, l’attentat du Casino de la Corniche fit huit morts et quatre-vingt-douze blessés. Deux jours plus tard, les funérailles des victimes tournent à l’émeute et un couvre-feu est instauré. Le soir même, des militaires français se rendent au domicile des Audin et emmènent Maurice.

L’enlèvement de Maurice Audin

Arrêté par le capitaine Devis et les lieutenants André Charbonnier et Philippe Erulin, Maurice Audin, alors âgé de 25 ans, est emmené sans que sa femme puisse apprendre où. Josette expliquera : « Ce jour-là, plusieurs hommes sont venus le chercher. Je leur ai demandé où ils l’emmenaient et quand il rentrerait. Ils m’ont répondu : « S’il est raisonnable, il sera là dans une heure. »« 

Maurice est conduit dans un immeuble en construction transformé en centre de détention de l’armée française ; il ne reviendra jamais. Le docteur Hadjadj, arrêté dans la soirée, confesse – pour sauver sa femme – avoir soigné Paul Caballéro au domicile de la famille Audin. Le lendemain, leur ami le journaliste Henri Alleg, dirigeant un journal clandestin, est également arrêté à leur appartement.

Mensonges et non-lieu

Josette Audin, qui a alors 26 ans, se retrouve seule avec ses enfants âgés de 3 ans, 1 an et demi et 1 mois. Pendant quatre jours, alors que la jeune femme se ronge les sangs, des parachutistes et policiers restent à son domicile. Puis, le 1er juillet, les autorités françaises annoncent que Maurice s’est échappé et qu’il a disparu. Josette, qui n’est pas dupe, dépose alors une plainte contre X pour homicide volontaire au tribunal d’Alger. Le comité Audin est en outre formé d’abord pour chercher Maurice Audin, puis pour dénoncer la torture et la violence en Algérie.

L’affaire est instruite avec lenteur. À la fin de la guerre en 1962, un non-lieu est prononcé suite aux premiers décrets d’amnistie. Mais Josette ne renonce pas. Elle ne renoncera jamais. Quittant l’Algérie en 1965, après le coup d’état d’Houari Boumediene, elle continue à lutter pour que la lumière soit faite sur la mort de son époux.

En quête de vérité

Dès 1958, l’historien Pierre Vidal-Naquet se saisit du dossier de la disparition de Maurice Audin, arguant que « À partir du moment où le juge d’instruction n’avait pas fait son travail, c’était à l’historien de le faire ». Il étudie les faits, les pièces fournies, les témoignages comme celui d’Henri Alleg qui a vu Maurice hagard, et détermine que le jeune homme est mort sous la torture le 21 juin 1957. Mais la vérité n’est pas reconnue, les coupables ne sont pas nommés.

Et Josette ne cesse de lutter. Elle multiplie les courriers et les actions en justice. À chaque élection, elle écrit au nouveau président pour réclamer non seulement la vérité, mais une reconnaissance générale des atrocités commises en Algérie. Car Maurice n’est pas un cas isolé : des milliers de personnes, essentiellement algériennes, ont disparu pendant la bataille d’Alger.

« Il est temps, plus de 50 ans après la fin de la guerre d’Algérie, que la vérité soit connue et reconnue. Pour commencer, il faut que les historiens puissent avoir accès à toutes les archives de toutes les personnalités civiles et militaires françaises en charge du « maintien de l’ordre » en Algérie, et à tous les niveaux. (…) j’espère que vous ferez aussi, au nom de la France, non pas des excuses pour des actes qui ne sont pas excusables, mais au moins une condamnation ferme de la torture et des exécutions sommaires commises par la France pendant la guerre d’Algérie. » (Lettre à François Hollande, 2012)

Mieux vaut tard que jamais

Sa quête se heurte essentiellement à un mur. En 2014, François Hollande reconnaît que Maurice Audin est mort en détention et ne s’est pas enfui. En 2018, Emmanuel Macron reconnaît enfin, plus de 60 ans plus tard, la responsabilité des autorités françaises dans sa mort. Il demande également l’ouverture des archives relatives aux disparus de la guerre d’Algérie. « Mieux vaut tard que jamais », commentera Josette.

Josette Audin meurt le 2 février 2019, sans avoir obtenu la vérité sur la mort de son mari. « Tous les militaires impliqués dans l’affaire Audin sont morts tranquillement ou vont bientôt mourir sans avoir dit ce qu’ils avaient fait de Maurice Audin. », disait-elle en 2018.

Liens utiles

Page wikipedia de Josette Audin
La veuve de Maurice Audin en appelle à Hollande
Josette Audin, le combat de toute une vie
L’enlèvement de Maurice Audin raconté par sa veuve : “S’il est raisonnable, vous le reverrez vite…”
La disparition de Maurice Audin. Les historiens à l’épreuve d’une enquête impossible

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