Lucia Moholy, photographe dans l’ombre

Photographe tchèque, Lucia Moholy (1894 – 1989) réalise de nombreux clichés du travail et de l’architecture de l’école du Bauhaus. Son œuvre a été a plusieurs reprises attribuée à d’autres.

Une enfance dans ses journaux

Portrait de Lucia Mohony par László Moholy-Nagy – 1924 – 1928

Née le 18 janvier 1894 à Prague, Lucia Schulz grandit au sein d’une famille juive non pratiquante d’origine allemande. Les journaux qu’elle a laissés, en plus de témoigner de tranches de vie avec son père, sa mère, sa grand-mère et son frère Franz, donnent à voir une inclination artistique précoce : à côté de ses mots, on trouve ainsi des dessins de cadeaux ramenés par son père lors d’un voyage. On y trouve également trace de ses lectures, de Tolstoï par exemple.

En grandissant, Lucia étudie l’allemand, l’anglais, la philosophie, la philologie et l’histoire de l’art à l’Université de Prague. Elle commence à travailler vraisemblablement dans le cabinet d’avocat de son père, à Prague. Au début de la Première guerre mondiale, elle témoigne dans son journal de sa satisfaction de pouvoir faire don d’argent qu’elle a gagné elle-même. Rapidement, Lucie déménage à Wiesbaden, en Allemagne, où elle travaille comme critique de théâtre pour un journal, avant de partir pour Leipzig, puis Berlin. Elle y travaille comme rédactrice et éditrice pour plusieurs maisons d’édition, et commence elle-même à écrire et publie de la littérature expressionniste, sous un pseudonyme masculin : Ulrich Steffen.

Le Bauhaus

En 1920, Lucia Schulz fait la connaissance d’un artiste peintre et photographe hongrois installé à Berlin, László Moholy-Nagy. De caractères divergents – d’après les mots de Lucia -, les deux se retrouvent autour de leurs idées et intérêts artistiques : « Les arrangements de travail entre Moholy-Nagy et moi-même étaient inhabituellement proches, la richesse et la valeur des idées de l’artiste gagnant en puissance, pour ainsi dire, avec l’alliance symbiotique de deux tempéraments divergents ». Ils se marient en janvier 1921, un mariage qui permet également à László de demeurer à Berlin.

Travaillant toujours au sein de maisons d’édition, Lucia soutient financièrement le couple pendant plusieurs années. En 1923, László obtient un poste d’enseignant à l’école du Bauhaus, une école d’architecture et d’arts appliqués fondée quelques années plus tôt à Weimar. Lucia l’y suit et travaille avec lui, dans l’ombre. Technicienne de chambre noire, elle développe ses clichés et l’aide à composer les textes de ses œuvres, un travail pour lequel elle n’est pas reconnue. En 1925, son mari publie le livre Malerei. Fotografie. Film, un ouvrage pour lequel elle n’est pas créditée bien qu’elle y a participé.

En parallèle, Lucia se forme à la photographie et documente par ses clichés l’architecture intérieure et extérieure du Bauhaus à Weimar et Dessau, une œuvre s’inscrivant par son esthétique dans le mouvement artistique de la Nouvelle objectivité, une volonté de représenter le réel précisément, sans fard. En 1926, elle obtient un diplôme de photographe à l’Académie des arts visuels de Leipzig, dont elle documente également par ses clichés l’architecture et les occupants. En 1928, László et elle quittent le Bauhaus, fermé en 1933 par les nazis qui considèrent qu’il enseigne de l’ « art dégénéré ». L’année suivante, le couple se sépare.

Un combat pour récupérer son œuvre

Lucia Moholy travaille quelques temps pour l’agence photographique Mauritius, et enseigne la photographie dans une école privée à Berlin. En 1933, l’arrivée des nazis au pouvoir en Allemagne et l’arrestation de son conjoint, communiste, la contraignent à émigrer. Fuyant Berlin, elle laisse derrière elle environ six cents négatifs et rejoint d’abord Prague, puis Vienne et Paris avant de s’installer à Londres. Elle y établit un studio et se lance dans le portrait et l’enseignement, ainsi que dans l’écriture du livre A Hundred Years of Photography, 1839-1939, un ouvrage sur l’histoire de la photographie.

Pendant son séjour à Londres, l’intérêt pour le Bauhaus s’accroît et des catalogues sont publiés, utilisant des clichés de Lucia – issus des négatifs qu’elle a dû laisser derrière elle – sans la mentionner. En 1938, Walter Gropius, le fondateur du Bauhaus, utilise ainsi 50 photos de Lucia pour une exposition du Museum of Modern Art (MoMA) et le catalogue afférent, sans lui attribuer son travail. Lucia contacte alors Gropius pour tenter de récupérer son travail, mais en vain. Des échanges épistolaires entre eux ont été retrouvés :
Lucia « Ces négatifs sont des documents irremplaçables qui pourraient être extrêmement utiles, maintenant plus que jamais »
Gropius « […] il y a de nombreuses années à Berlin, vous m’avez donné tous ces négatifs. Vous imaginez bien que ces photographies me sont très utiles et que je les ai continuellement utilisées ; j’espère donc que vous ne m’en priverez pas. »
Lucia Moholy « Vous ne vous attendiez pas à ce que je retarde mon départ [de Berlin] pour rédiger un contrat formel stipulant la date et les conditions de retour ? Aucun accord formel n’aurait pu avoir plus de poids que notre amitié. C’est une amitié sur laquelle j’ai toujours compté, et que j’invoque maintenant. »

Lucia finit par faire appel à un avocat pour tenter de récupérer son œuvre. Elle ne retrouvera pas ses négatifs avant 1957, et de manière incomplète : seuls 230 des 560 négatifs de son travail au Bauhaus lui sont restitués.

Après la guerre

Pendant la guerre, Lucia Moholy travaille sur des microfilms destinés à de la documentation scientifique. Elle finit par délaisser la photographie pour se consacrer à l’enseignement. Après la guerre, elle passe une dizaine d’années au Proche et au Moyen-Orient dans le cadre de projets de l’UNESCO, notamment pour la réalisation de films documentaires.

En 1959, l’artiste s’installe à Zollikon, en Suisse, elle se consacre à l’écriture sur sa période au Bauhaus, sur la critique artistique et sur l’animation de conférences. En 1972, elle publie l’ouvrage Moholy-Nagy Notes pour tenter à nouveau de récupérer le crédit de l’importante œuvre utilisée sans sa permission, ainsi que de son travail effectué dans l’ombre auprès de son ex-mari.

Lucia Moholy meurt en mai 1989 à Zurich, à l’âge de 95 ans. Aujourd’hui encore, certaines publications continuent de ne pas lui attribuer la maternité de ses œuvres.

Liens utiles

What I Could Lose”: The Fate of Lucia Moholy
Page wikipédia de Lucia Moholy
Lucia Moholy – AWARE
Lucia Moholy – Centre Pompidou (œuvres)
Pas touche à mes photos ! Artips

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