Membre du peuple Osage, Mollie Kyle Cobb (1886 – 1937) est une témoin et une survivante du « règne de la terreur », une vague de meurtres ayant décimé son peuple en vue de voler leurs richesses.
Le peuple des Osages

Originaires des Grandes Plaines de l’Amérique du Nord, les Osages se nomment eux-mêmes « Wazházhe » ou « enfants de l’eau du milieu » ; l’eau du milieu désignant la rivière Osage, sous-affluent du Mississipi qui traverse le territoire de la tribu. Le nom Osage provient d’une déformation française due aux trappeurs et coureurs des bois français et canadiens français.
Les Osages ne sont pas épargnés par la Conquête de l’Ouest. Décimés par des épidémies de variole, ils sont au 19ème siècle contraints de céder leurs terres traditionnelles et déportés dans des territoires arides du nord de l’État de l’Oklahoma aux États-Unis. Dédommagés pour la cession de leurs terres, ils sont l’une des rares tribus à pouvoir acheter leur réserve, mais le sol presque incultivable qu’on leur a attribué les condamne dans un premier temps à la famine.
Leur situation change du tout en tout à partir de 1897, lorsque le plus grand gisement de pétrole du pays est découvert sur leur territoire. Du jour au lendemain, les Osages, dont le territoire a été divisé en 2 229 parts égales entre les membres de la tribu, se retrouvent riches à millions. Ils se construisent de vastes maisons, achètent des automobiles de luxe, engagent des domestiques. Une opulence soudaine qui n’est pas sans attiser les convoitises et les jalousies. En 1921, voulant contrôler la façon dont les Osages dépensaient leur fortune, le Congrès des États-Unis adopte une loi contraignant toute personne d’ascendance à moitié Osage ou plus à se placer sous la responsabilité d’un tuteur, jusqu’à prouver ses propres capacités.
Mollie et Ernest

C’est dans ce contexte que naît et grandit Mollie Kyle Cobb. Fille de Lizzie Q. Kyle, elle naît le 1er décembre 1886, membre de la tribu Osage par ses deux parents et à ce titre affectataire de l’une des 2 229 parcelles de la réserve. Mollie grandit entre deux mondes, élevée dans des écoles blanches et largement coupée de la culture de son peuple. C’est de cette éducation que lui vient le nom de Mollie, comme ceux de Minnie, de Rita et d’Anna pour ses sœurs.
En 1912, le jeune Ernest Burkhart, neveu du riche et influent éleveur William Hale, s’installe chez son oncle dans la région. Travaillant principalement pour Hale, Ernest se fait parfois chauffeur et conduit Mollie en ville. La jeune femme tombe amoureuse de lui et, malgré les moqueries des amis d’Ernest qui le traitent de “squaw man”, les deux se marient en 1917. Ces mariages mixtes n’étaient pas si inhabituels pour les Osages ; les trois sœurs de Mollie avaient elles aussi épousé des hommes blancs. Des enfants, Elizabeth et James, naissent rapidement de leur union.
Mais le bonheur de Mollie ne durera pas. En 1921, quelques années après leur mariage, commencent les premiers meurtres.
Le temps de la lune tueuse de fleurs
En avril, les collines du territoire osage en Oklahoma se couvrent de milliers de petites fleurs printanières qui donnent l’impression, comme l’écrira l’écrivain osage John Joseph Mathews, que « les dieux ont laissé des confettis ». En mai, à la pleine lune, des plantes plus hautes poussent et volent la lumière et les ressources des petites fleurs. Leurs pétales se flétrissent et tombent. C’est la raison pour laquelle les Osages parlent de mai comme du temps de la lune tueuse de fleurs.
C’est un jour de mai qu’Anna Brown, la sœur de Mollie Kyle Cobb, disparaît. C’est un autre jour de mai, une semaine plus tard, que son corps est retrouvé dans un ravin, une blessure par balle à la tête. L’autopsie conduite par les autorités locales conclut pourtant à une mort accidentelle, une chute liée à une trop grande consommation d’alcool. La dernière personne à avoir vu Anna en vie, Byron Burkhart, le frère d’Ernest avec qui Anna a eu une relation, dit ne rien savoir et n’avoir rien fait ; l’enquête ne va pas plus loin.
Le même jour, Charles Whitehorn, un cousin d’Anna et de Mollie, est également retrouvé mort, tué par balles. Endeuillées, Lizzie et ses filles voient également leur fortune croître. Lizzie, qui vit chez Mollie, hérite en effet des parts d’Anna, qui s’ajoutent à celles de son mari et de sa fille Minnie morte de maladie trois ans plus tôt.
Le règne de la terreur
Les meurtres ne s’arrêtent pas là. Deux mois plus tard, c’est au tour de Lizzie de mourir dans des circonstances suspectes ; ses filles, Mollie et Rita, héritent d’une véritable fortune. En 1923, un autre cousin de Mollie, Henry Roan Horse, est retrouvé tué d’une balle dans la tête. La même année, une bombe pulvérise la maison de la sœur de Mollie. Rita et sa domestique Nettie Brookshire meurent sur le coup ; Bill Smith, son mari, meurt quelques jours plus tard. Mollie est désormais la seule survivante de sa famille, et à la tête d’une fortune considérable.

Mais le « règne de la terreur », du nom que les Osages donnent à cette période, n’est pas terminé. En juin 1923, George Bigheart est emmené à l’hôpital où les médecins soupçonnent qu’on lui a fait ingérer du whisky empoisonné. L’avocat William Watkins Vaughan est appelé sur place ; les deux hommes meurent le lendemain. Vaughan, qui devait repartir en train, est retrouvé brutalement assassiné près des voies ferrées. Mois après mois, année après année, les noms des Osages tués s’égrènent : William Stepson, Joe Yellow Horse, Henry Benet, Hugh Gibson… Le nombre de victimes est encore débattu à ce jour, mais pas un mois ne se passe sans qu’un Osage soit assassiné, sans qu’une fortune change de mains.
Le « Bureau of Investigation »
Face à la passivité des autorités locales devant le massacre de leur peuple, le conseil tribal osage demande l’aide du gouvernement fédéral. Quelques semaines plus tard, le jeune « Bureau of Investigation« , fondé en 1908 par Roosevelt, lance une enquête d’envergure. Quatre agents, menés par l’ancien Texas Ranger Tom White, sont envoyés en infiltration dans le territoire osage, pour une investigation qui durera deux ans. En arrivant, les agents découvrent une situation complexe et un contexte défavorable. La terreur lie les langues, aussi bien chez les Osages que dans la communauté blanche, et dans un premier temps personne ne semble disposé à collaborer avec le Bureau.
Le Bureau se concentre en particulier sur le meurtre de Henry Roan Horse, assassiné dans les limites de la réserve osage, ce qui en fait un crime fédéral. Rapidement, et comme le conseil osage, ils soupçonnent le riche éleveur William Hale, l’oncle d’Ernest. Henry Roan avait en effet une dette de 1 200 dollars envers l’éleveur, et il en avait fait le bénéficiaire d’une assurance vie. Mais Hale, qui se surnomme lui-même « le roi des collines osage », est un homme riche, puissant et influent dans la région, et personne ne témoigne contre lui.
Les noms d’Ernest Burkhart et de John Ramsay, un cow-boy de la région, surgissent dans l’enquête. Des interrogatoires finissent par pousser les suspects à s’accuser les uns les autres : John Ramsay avoue avoir été payé par William Hale pour tuer Henry Roan. L’éleveur se révèle être celui qui tire les ficelles, à la tête d’un complot impliquant ses neveux et de nombreux hommes de main. Ernest, le propre mari de Mollie, plaide coupable pour sa participation aux meurtres des membres de la famille Kyle ; Mollie était la prochaine sur la liste. Lorsque les suspects sont arrêtés, elle est gravement malade et découvre qu’elle est en train de se faire progressivement empoisonner. Éloignée des tueurs, elle survit et se remet.
Après la terreur
Les procès d’Ernest Burkhart, de John Ramsay et de William Hale, qui reçoivent une large couverture médiatique nationale, ont lieu entre 1926 et 1929 ; les trois hommes sont reconnus coupables et condamnés à la prison à perpétuité. Byron Burkhart, qui a participé au meurtre d’Anna Brown, échappe lui au procès en témoignant contre ses complices. Déjà emprisonné, un homme de main de William Hale du nom de Kelsie Morrison est jugé coupable du meurtre d’Anna Brown et également condamné à la perpétuité en 1926. D’autres complices meurent avant d’être jugés.
Le Bureau, qui deviendra le FBI, considère l’affaire comme une réussite qui lui permet d’asseoir sa légitimité et sa crédibilité. D’autres morts suspectes font pourtant surface lors des procès, et après, et de nombreux meurtres du « règne de la terreur » ne sont pas élucidés. Pour enrayer la machine, une loi fédérale est adoptée pour interdire aux non-Osages d’hériter des parcelles appartenant à des membres de la tribu étant plus qu’à demi Osage.
Malgré le retentissement des arrestations et des procès, et malgré les protestations des Osages, les trois meurtriers seront libérés après des peines de prison plus ou moins longues ; Ernest Burkhart recevra une grâce du gouverneur de l’Oklahoma, Henry Bellmon, en 1965.
« Une amie pour tous »
Seule rescapée du complot qui a emporté sa famille, remise de son empoisonnement, Mollie Kyle Cobb divorce de son criminel de mari. Elle se remariera par la suite avec John William Cobb, Jr. Élevée entre deux mondes, elle semble alors avoir été mise à l’écart dans ces deux mondes. Loyaux à Hale, les Blancs la rejettent, tandis que certains Osages la blâment pour avoir introduit les tueurs parmi eux.
Mollie Kyle Cobb meurt en juin 1937, à l’âge de 50 ans, léguant sa fortune à ses enfants. Sa tombe porte l’épitaphe suivante : « She was a kind and affectionate wife and a fond mother and a friend to all. » (« Elle était une épouse gentille et affectueuse, une mère aimante et une amie pour tous. »)
Liens utiles
The forgotten murders of the Osage people for the oil beneath their land
Terror’s legacy
Osage Indian murders (wikipedia)
Osage murders
The Marked Woman – The New Yorker
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