Surnommée « la mère de la danse et du théâtre afro-péruviens », la chorégraphe et compositrice Victoria Santa Cruz (1922 – 2014) développe et renouvelle la culture afro-péruvienne dans les années 1960 – 1970, à travers en particulier les arts de la scène.
Une lignée d’artistes
Huitième des onze enfants de ses parents, Victoria Gamarra et Nicomedes Santa Cruz Aparicio, Victoria Eugenia Santa Cruz Gamarra nait le 27 octobre 1922 à Lima, au Pérou. Sa famille compte de nombreux artistes et musiciens, et la fillette est initiée très jeune à différents arts, en particulier la danse, la musique et la poésie. Ses parents lui apprennent les danses afro-péruviennes, notamment la marinera, et danses et musiques s’imposent rapidement pour elle comme de véritables passions, qui la suivront toute sa vie. Sa mère, en particulier, danse. Son père lui fait découvrir Shakespeare en anglais et écouter des opéras.
En tant que péruvienne noire, dans un pays indépendant depuis 1821 mais qui a aboli l’esclavage près de 30 ans plus tard, Victoria est confrontée très tôt au racisme. Dans son poème Me gritaron negra (on m’a crié « noire ») de 1978, elle fait référence à sa première expérience douloureuse de racisme et d’exclusion : alors qu’elle est âgée de cinq ans, une nouvelle venue dans son quartier, une fillette blonde, indique au groupe d’amis de Victoria qu’elle ne jouera pas avec eux « si la petite fille noire veut jouer avec eux ». Exclue, la fillette puise dans ce moment de souffrance une prise de conscience sur son identité, sur la société et sur la vie elle-même.
« I never forgot the importance of suffering. (…) That girl stimulated something in me without knowing. And I came to discover what it means to stand on your feet without looking for someone to blame, suffering but discovering things. I began to discover life. The ennemy lives at home. » Victoria Santa Cruz en 2007. (Je n’ai jamais oublié l’importance de la souffrance. (…) Cette fille a stimulé quelque chose en moi sans le savoir. Et j’ai découvert ce que ça signifie de se tenir debout sur ses pieds, sans chercher quelqu’un à blâmer, à souffrir mais à découvrir des choses. J’ai commencé à découvrir la vie. L’ennemi vit au sein du foyer.)
Début de carrière
En 1958, Victoria Santa Cruz et son frère Nicomedes, de trois ans son cadet, fondent le groupe de danse, de chant et de théâtre Cumanana, auquel participe toute la fratrie. Ses sœurs et frères et elle voient dans cette compagnie un moyen de promouvoir la musique et la culture afro-péruvienne et de – d’après ses mots – « éveiller la conscience et la fierté des Noirs ». Victoria co-dirige la troupe jusqu’en 1961, et compose des pièces comme Malató, une comédie musicale abordant le thème de l’esclavage qu’elle écrit, chorégraphie et met en scène.
Repérée lors d’un spectacle par un conseiller culturel de l’ambassade de France, Victoria obtient une bourse d’études et part étudier en France. À Paris, elle suit entre 1961 et 1965 des cours de théâtre et de chorégraphie à l’école supérieure des études chorégraphiques de l’Université du Théâtre des Nations, auprès notamment du chorégraphe Maurice Béjart, de l’acteur Jean-Louis Barrault ou encore de l’écrivain Eugène Ionesco. Au cours de son séjour européen, Victoria creuse son intérêt pour les racines de la culture afro-péruvienne en se rendant en Afrique. Elle crée un ballet intitulé La muñeca negra (La poupée noire). En 1966, Victoria rentre au Pérou, forte d’une formation très complète et d’une grande énergie créatrice, et avec l’objectif de développer et professionnaliser le spectacle vivant afro-péruvien.
Teatro y Danzas del Perú
Dès son retour du Pérou, Victoria Santa Cruz fonde le groupe Teatro y Danzas del Perú (théâtre et danses du Pérou), grâce auquel elle produit des spectacles dont la grande qualité est rapidement reconnue. Son frère Nicomedes et elle effectuent des recherches approfondies sur la culture et les traditions péruviennes, redécouvrant ou remettant au goût du jour des musiques, des chants, des danses oubliées ou tombées en désuétude. Lors des spectacles, les danseurs et danseuses, soigneusement sélectionnés et formés, interprètent des chorégraphies sur fond de musique traditionnelles. Le niveau d’exigence et la haute qualité des spectacles mis sur pieds par Victoria leur valent d’être reconnus au-delà des frontières du Pérou, et la troupe se produit régulièrement à l’étranger. Son travail est complété par celui de Nicomedes, qui publie des ouvrages et des articles sur la culture afro-péruvienne. Tous deux à leur manière sont poussés par leur envie de valoriser la culture afro-péruvienne.
« Encontré en lo que había heredado justamente como ancestro, África, la base para ponerme de pie. Tuve que empezar por el negro, por esas combinaciones rítmicas africanas que hemos heredado y conservamos tan celosamente a través de cuatrocientos años, fue lo que me hizo decir un día el negro no fue nunca esclavo, porque nadie pudo esclavizar su ritmo interior, que es la única guía del ser humano. Que no me diga nadie que no es racista antes de serlo, hay que serlo primero. » Victoria Santa Cruz (J’ai trouvé dans ce que j’avais justement hérité comme ancêtre, l’Afrique, la base pour me tenir debout. J’ai dû commencer par le Noir, par ces combinaisons de rythmes africains que nous avons hérités et conservés si jalousement pendant quatre cents ans, c’est ce qui m’a fait dire un jour que le Noir n’a jamais été esclave, car personne n’a pu asservir son rythme intérieur, qui est l’unique guide de l’être humain. Que personne ne me dise qu’il n’est pas raciste avant de l’avoir été, il faut l’être avant.)
Apogée de carrière
Victoria Santa Cruz connaît une reconnaissance et un succès tels que son groupe et elle se produisent lors de tournées internationales, notamment aux États-Unis, au Canada, en Europe de l’ouest. En 1968, le groupe Teatro y Danzas del Perú se produit lors des Jeux olympiques d’été à Mexico. L’année suivante, Victoria est nommée directrice de l’Escuela Nacional de Folklore puis directrice du Conjunto Nacional de Folklore en 1973 ; ce dernier vise à préserver et diffuser le folkore national à travers le spectacle vivant, la danse, le chant, la musique. Particulièrement reconnue aux États-Unis, Victoria organise d’abord des ateliers en tant que professeure invitée à l’Université Carnegie Mellon de Pittsburgh, avant d’y devenir professeure assistante de 1983 à 1989 puis professeure émérite de 1989 à 1999.
Parallèlement à ses responsabilités, Victoria compose ses propres œuvres, chansons, poèmes, spectacles musicaux, parmi lesquels le poème lyrique inspiré de sa propre expérience Me gritaron negra, la pièce La Magia del Ritmo ou encore la chanson Cumanana, évoquant son passé dans le groupe du même nom avec son frère.
Victoria Santa Cruz meurt en août 2014 à Lima, à l’âge de 91 ans. Son frère et elle restent considérés comme des acteurs essentiels du renouveau de la culture afro-péruvienne.
Me gritaron negra
Tenía siete años apenas,
apenas siete años
Qué siete años!
No llegaba a cinco siquiera!
De pronto unas voces en la calle
Me gritaron Negra!
Negra! Negra! Negra! Negra! Negra! Negra! Negra!
« »Soy acaso negra? » »- me dije
SÍ!
« »Qué cosa es ser negra? » »
Negra!
Y yo no sabía la triste verdad que aquello escondía.
Negra!
Y me sentí negra,
Negra!
Como ellos decían
Negra!
Y retrocedí
Negra!
Como ellos querían
Negra!
Y odie mis cabellos y mis labios gruesos
Y mire apenada mi carne tostada
Y retrocedí
Negra!
Y retrocedí . . .
Negra! Negra! Negra! Negra!
Negra! Negra! Negra!
Negra! Negra! Negra! Negra!
Negra! Negra! Negra! Negra!
Y pasaba el tiempo,
Y siempre amargada
Seguía llevando a mi espalda
Mi pesada carga
Y cómo pesaba!…
Me alacié el cabello,
Me polvee la cara
Y entre mis entrañas siempre resonaba la misma palabra
Negra! Negra! Negra! Negra!
Negra! Negra! Neeegra!
Hasta que un día que retrocedía, retrocedía y qué iba a caer
Negra! Negra! Negra! Negra!
Negra! Negra! Negra! Negra!
Negra! Negra! Negra! Negra!
Negra! Negra! Negra!
Y qué?
Y qué?
Negra!
Si
Negra!
Soy
Negra!
Negra
Negra!
Negra soy
Negra!
Si
Negra!
Soy
Negra!
Negra
Negra!
Negra soy
De hoy en adelante no quiero
Laciar mi cabello
No quiero
Y voy a reírme de aquellos,
Que por evitar -según ellos-
Que por evitarnos algún sinsabor
Llaman a los negros gente de color
Y de qué color!
Negro
Y qué lindo suena!
Negro
Y qué ritmo tiene!
Negro Negro Negro Negro
Negro Negro Negro Negro
Negro Negro Negro Negro
Negro Negro
Al fin
Al fin comprendí
Al fin
Ya no retrocedo
Al fin
Y avanzo segura
Al fin
Avanzo y espero
Al fin
Y bendigo al cielo porque quiso Dios
Que negro azabache fuese mi color
Y ya comprendí
Al fin
Ya tengo la llave!
Al fin
Negro Negro Negro Negro
Negro Negro Negro Negro
Negro Negro Negro Negro
Negro Negro
Negra soy
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